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Une cloche gantha en jade-revue de l'AFG, no 158, décembre 2006

Publié le Vendredi 1 Décembre 2006

Paris

Une cloche gantha en jade-revue de l'AFG, avril 2006
Une cloche gantha en jade-revue de l'AFG, avril 2006
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La présence du jade dans la campanologie chinoise 
Etude d’une cloche gantha d’époque Qing
 
Par Erik Gonthier* , Laurent Schroeder**
* Maître de Conférences M.N.H.N., Etude effectuée dans le cadre d’une A.C.I. issue d’un rapport 2006 
** Historien de l’art
 
 
Préambule
 
L’Hôtel des Ventes Richelieu-Drouot a effectué une vente organisée par l’étude Beaussant-Lefèvre, le 18 novembre 2005. L’expertise et catalogue avaient été assurés par Thierry Portier, assisté d’Alice Buhlman. Un des objets présentés était une cloche en jade-néphrite provenant d’une collection parisienne. Il s’agissait du lot n°37 du catalogue : « cloche gantha dorkhi en néphrite blanche céladonnée, à décor sculpté en relief de frises de vajra, fleurs et pétales de lotus avec, à l’intérieur, des caractères sanscrits. Le manche en forme de vajra est sculpté d’une tête de divinité et porte la marque Qianlong à quatre caractères. Epoque Qianlong, XVIII°s. ».
 
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Introduction
 
La campanologie qui s’intéresse à l’étude des cloches, instruments de musique au statut bien particulier, croise quantités de domaines de connaissances aussi divers et variés que l'histoire, la musicologie, l'acoustique, l'anthropologie, la Préhistoire... Dans la classification des objets sonores, la cloche est un idiophone, c'est-à-dire un instrument dont le matériau qui le constitue entre intégralement en vibration. Toutes les cloches ne sont pas limitées à des fonctions religieuses ou musicales. Elles ne sont pas seulement des outils à signaux sonores codifiés émis à des distances plus ou moins longues pour des usages quotidiens en relation avec l’annonce d’événements, ou rythmer les heures, mais dérivent parfois vers d’autres approches et des emplois qui mettent en exergue d’autres qualités esthétiques, plastiques, matérielles, sur des matériaux peu commun comme le jade-néphrite. Pour comprendre la présence d’une cloche gantha dorkhi dans les collections chinoises de l’empereur Qianlong, il est nécessaire de remonter dans le temps et de se souvenir que l’approche occidentale de l’art campanaire qu’il soit utilitaire ou décoratif, par rapport à la vision chinoise, reste assez réductionniste.
 
I - Deux aspects distincts pour une même approche 
 - Jade objet décoratif.
Le jade-néphrite appelé par les Chinois ruanyu 软  玉  (jade tendre) est un silicate de calcium et de magnésium/fer, du groupe des amphiboles (Na2Mg3Al2[OH]Si4O11]2). C’est une roche monominérale, une amphibolite de la série actinolite-trémolite, où l'actinolite prédomine. Elle est chimiquement identique à l'actinolite, mais avec une structure cristalline différente, car fibreuse, très compacte et pas macrocristalline (la néphrite ne forme jamais de cristaux distincts). La cristallogenèse est liée à un métamorphisme de contact dans des talcs-schistes et des schistes cristallins, souvent en présence de serpentines et de marbres. Cet inosilicate peut se transformer facilement en serpentine (serpentinisation) sous forte pression et par hydratation, d’où l’extraordinaire variation de tons de ce minéral. 
 
Plusieurs types de gisements de jade sont exploités dans la tradition Chinoise : soit dans des chaînes de montagnes, en place dans des gisements primaires ; ou dans de zones éluviales liées à l’accumulation sur place de certains minéraux provenant de la destruction et du lessivage des roches en place par l'érosion (« jades des montagnes » de Khotan) ; soit dans les rivières comme la Tarim dans les plaines du désert du Taklamakan principalement, par transport et concentration de minéraux dans les cours d'eau et des plages dans des zones alluvionnaires, gîtes sédimentaires détritiques (« jades des rivières »). Les plus gros gisements mondiaux de jade-néphrite se trouvent dans la province chinois du Xinjiang. C’est dans cette zone de l’extrême ouest de la Chine que provient la matière première de la cloche gantha dorkhi. En Chine, la rareté du jade-néphrite tient en des critères de choix très strictes qui reconnaissent d’une part la couleur, la pureté et la translucidité, et les éventuels dessins naturels du minéral. Selon ces critères qualitatifs, la valeur des blocs de pierre peut atteindre des prix phénoménaux. 
 
- Jade objet de gravure 
La forte ténacité du jade faite de fibres minérales enchevêtrées, rend cette roche non attaquable au burin ou/et au ciseau en acier. Les outils en acier glissent, s’usent rapidement ou cassent. Sa dureté relative, proche de celle du quartz oblige à pratiquer une lente abrasion, en adjoignant des abrasifs plus durs que la néphrite (quartz, grenat, corindon, diamant, etc.), avec beaucoup d'eau pour un refroidissement continuel. Avant l’apparition des outils électriques, plusieurs centaines d'heures de travail, voire plusieurs centaines de jours étaient nécessaires pour réaliser des oeuvres complexes ou particulièrement volumineuses. Grâce au Yu zuo tu (Illustration du travail du jade) de Li Chengyuan, publié en 1891, nous connaissons partiellement les outils et les modes opératoires du travail lapidaire du jade sous les Qing (1644-1911) :
– Préformage de l’œuvre par dégrossissage à l'aide d'une scie en acier ;
– Ebrutage et épannelage à l'aide de meules verticales d'émeri de diamètres divers ;
– Perçage de trous, indentations, ajours à l'aide de forets munis des pointes de diamant aux formes et tailles variables ;
– Prépolissage régulier à la meule d'émeri ;
– Polissage final, très fin, avec des disques non métalliques en caoutchouc, en bois, en peau de coloquinte, en cuir ou en bambou (enduits quelquefois de poudre de perle). 
 
 
II – Le jade néphrite dans la tradition lapidaire chinoise
 
L’utilisation des idiophones a débuté au Paléolithique inférieur, il y a au moins 400.000ans (2005 - Gonthier E.), à l’époque où eut lieu la domestication du feu (Henry de Lumley - 2004). A cette période des groupes humains considérèrent le feu comme un facteur de convivialité. Ils ont probablement commencé à jouer avec les idiophones naturels comme les stalactites de calcite parce que l’accès des cavernes était devenu possible grâce à l’éclairage. Charles Absolon (1936), avec son analyse musicale et ethnologique comparative sur les flûtes paléolithiques de l’Aurignacien et du Magdalénien de Moravie, avait démontré implicitement la possible cohabitation instrumentale et peut-être la présence de groupes instrumentaux à des époques très anciennes.
 
Les premières utilisations de cloches manufacturées en Asie, sont apparues vers 4.000 av. J.-C., c’est-à-dire beaucoup plus tôt qu’en Europe. On cite vers l'an 2.260 av. J.-C. la fonte de douze cloches de bronze à la demande de l’empereur Huang-Di, ce qui démontre l’intérêt particulier porté au métal bien sûr, mais surtout aux cloches proprement dites.
 
De manière très précoce, une typologie campanaire chinoise est apparue clairement, distinguant deux catégories : les cloches ling à battant interne, dont les spécimens de bronze remontent à la période Erlitou (environ 1900-1600 av. J.-C.), et les cloches zhong à battant externe, c’est-à-dire frappées à l'aide d'un percuteur en bois. Ces deux types de cloches héritées de prototypes en terre d’époque Néolithique, présentent une section ovale commune. Au cours des premières dynasties Shang (1600-1050 av. J.-C.) et Zhou (1050-221 av. J.-C.), les cloches de bronze « zhong » pouvaient être fixées sur un socle, avec une ouverture orientée vers le haut. Déclinées en naozhong, pianzhong ou bazhong, zheng, avec des dimensions variables, elles étaient le plus souvent suspendues avec la bouche orientée vers le bas, comme les yongzhong munies d'un anneau de suspension latéral. Elles sont apparues au début des Zhou de l'Ouest (1050-771 av. J.-C.). Par exemple, la tombe du marquis Yi de Zeng au Hubei (V°s. av. J.-C.), a livré 65 cloches de type yongzhong, d’un poids total de 2500 kg. 
Les nombreuses cloches appartenant à la famille zhong, portent toutes un préfixe désignant leur caractère « précieux » bao, leur qualité sonore he « harmonieux », ou leur fonction ge « chant ». A partir des Zhou de l'Est (771-221 av. J.-C.), apparurent les cloches chunyu, en « forme de tulipe », surmontées d'un tigre en guise d'anneau de suspension. Sous les Han (206 av. J.-C.-220 ap. J.-C.), elles furent déclinées en nombre, puis remplacées par les grandes cloches à coupe circulaire fanzhong, très courantes au cours des dynasties suivantes et jusqu'à nos jours (site internet 1). 
 
En parallèle, apparurent d’autres types de cloches faites de pierres lamellaires, à section quadrangulaire, en forme de « fausse équerre » suspendues par une cordelette ou une attache en bronze passée dans un trou situé à leur partie angulaire supérieure. C’est ainsi qu’assemblés en carillon ces monolithes de jade de différentes tailles étaient mis en résonance par percussion externe. La tombe du marquis Yi de Zeng en a fournit un bel exemplaire.
 
Le concept musical de ces différents types de cloches en bronze ou en pierre associés en contexte funéraire, a connu plus tard une autre variante combinant la forme de la cloche de bronze et les qualités sonores et esthétiques du minéral. 
 
 
III -La cloche gantha en jade-néphrite :
 
Comme tout instrument, la cloche place l'ouïe en rapport avec un son, reflet de la vibration primordiale. La cloche trouve ses spécificités dans l'appel du Divin, comme dans le bouddhisme tibétain où sa « courte » résonance correspond au monde phénoménal, celui de l’éphémère apparence. Son expression sonore symbolise la sagesse pénétrant les mondes de son timbre : la voix du Dharma sublime. Avec le mala - examiné plus bas- , la cloche gantha et le vajra sont les principaux objets rituels du Bouddhisme tantrique. La cloche gantha est un symbole yin, féminin et donc considéré en Inde comme passif. Elle représente la sagesse, prajna en sanscrit.
 
 
 
photo 01 cloche gantha de Qianlong
cliché cabinet Portier
 
La cloche gantha de Qianlong est empreinte de tous ces symboles. Bien que de fabrication chinoise, elle présente une ornementation tibétaine. Haute de 18 cm, formée de quatre éléments principaux différenciés, cette cloche est taillée et gravée dans plusieurs morceaux de jade issus d’un même bloc de jade-néphrite originel. La lecture de ces éléments rapportés en jade permet d’effectuer une analyse sémiologique précise des composants. Elle se réalise en partant de la pointe du manche, vers la partie basse du tambour. 
 
A)Le manche 
 
La partie supérieure du manche (diamètre maximum 4,6cm) représente un demi-vajra. Le terme sanscrit vajra évoque la foudre. Du reste, cet objet participant à des rituels est aussi appelé foudre, ou foudre-diamant. Le diamant, par glissement sémantique, prend le nom de vajra dans l’usage lapidaire et sacré. Buddhabhatta, auteur d’un lapidaire du VI°s., affirmait que « celui qui, ayant le corps pur, porte toujours un diamant aux pointes aiguës, sans tache, exempt de tout défaut, celui-là tant que dure sa vie, croît chaque jour en quelque chose: bonheur, prospérité, enfants, richesses, grain, vaches, bétail. » (2001. Robyn Fréchet et Hubert Bari). Le Brihatsamhita de Varahamihira contient une liste de 22 pierres classées dans la catégorie des ratnas (pierres précieuses), parmi lesquelles on trouve les vajra (diamant), indranila (saphir), marakata (émeraude), padmaraga (rubis), rudhirakhya (cornaline), sphatika (cristal de roche), praval (corail), etc. Mais il ne marque pas la différence entre les maharatnas (pierres très précieuses) et les uparatnas (pierres moins précieuses), distinction qui semble s'être développée ultérieurement.
 
Notons qu’il a été établi récemment un lien entre la foudre brandie par Zeus dans sa main, et le vajra tibétain. Le vajra représente l'énergie yang, masculine (active), qui signifie l'action juste et la compassion. Il est le symbole de la force spirituelle, de la ténacité, de l’organe mâle, notamment dans le bouddhisme ésotérique tibétain. Le plus souvent représenté à trois pointes, c’est l’arme de la déesse hindoue Indra, symbole le plus puissant du bouddhisme tibétain qui désigne la nature indestructible de l’esprit en soi, et l’éveil. Il est l’équivalent tibétain du linga indien, ou lingam, assimilé à l’axis-mundi. 
 
L’emploi du terme tibétain dorje (le vjara), désigne le spectre lumineux du ciel et du firmament. Même à l’époque pré-bouddhiste, les peuples de l’Himalaya adoraient la voûte céleste comme leur Père divin, raison pour laquelle le dorje a aussi été exécuté en différentes pierres dures et translucides, notamment en cristal de roche. 
 
La littérature hindouiste qui associe pragmatisme commercial et dimension sacrée, diffère de l’univers bouddhique en son aspect philosophique. Dans le Sûtra de la perfection de la sagesse coupante comme le diamant-foudre, adressé au Vénérable Sunhuti, l’un des plus grands disciples de Shakyamuni (le Bouddha historique), le Sûtra énonce comment trancher l’illusion. La puissance et la clarté du diamant permet de trancher dans le monde des illusions et d’atteindre la connaissance. Le Vajrasattva, Bouddha dans la position du lotus, tient dans ses mains la cloche et le vajra. La troisième voie du bouddhisme, le bouddhisme tantrique, appelé aussi le bouddhisme Vajrayâna, ou « Véhicule de Diamant », s’installa au Tibet à partir du VI°s., en assimilant les croyances animistes préexistantes pour aboutir au lamaïsme tibétain. (2001. Robyn Fréchet et Hubert Bari). 
 
 
Un vajra peut comporter cinq pointes représentant les cinq émotions perturbatrices, klesha en sanscrit, qui doivent être transmutées en cinq sagesses ou cinq facettes de l’esprit éveillé : la sagesse semblable au miroir ; la sagesse de l’égalité ; la sagesse de la distinction ; la sagesse en cours d’accomplissement ; et la sagesse de l’espace universel. Ces cinq pointes coniques et cintrées sont effilées vers le haut et convergent en un point commun, qui représentent les Vainqueurs ou cinq principaux Bouddhas masculins. A leur base, ces pointes sortent de la gueule ouverte de monstres marins, les Makara, symbole du cycle des existences. Lorsque le vajra est complet, il retrouve sa symétrie, et les pointes inférieures symbolisent les cinq Bouddhas féminins.
 
 
Dans la partie inférieure du manche, sous la gueule des quatre Makara, figurent les huit pétales supérieurs, qui représentent les huit Bodhisattvas masculins qui demeurent dans les domaines célestes. Si le vajra était complet, par symétrie, les huit pétales inférieurs représenteraient huit Bodhisattvas féminins). Sous ces huit pétales, figure des deux côtés du manche, le visage de Prajnaparamita. Cette divinité symbolise la connaissance parfaite, la vacuité, le caractère éphémère de toute chose, la sagesse immédiate de l’intuition et la connaissance. Prajnaparamita est posée sur le vase qui contient le nectar des accomplissements.
L’ensemble du manche se termine par un tenon de section quadrangulaire, destiné à maintenir trois éléments : une bague intermédiaire gravée, le tambour et le battant de cloche.
 
1. Bague intermédiaire 
Le deuxième élément de la cloche est constitué d’une bague en forme de perle ovalaire (diamètre maximum 2,35cm), intermédiaire entre le manche et le tambour. Sa fonction est essentiellement technique : elle assure l’assemblage et la cohésion de ces deux parties. Sur son pourtour figure l’inscription en quatre caractères qian long nian zhi, qui signifie « réalisé durant les années de règne de Qianlong ». La bague est percée d’une mortaise de section carrée, destinée à recevoir un tenon de section quadrangulaire. Cette bague est délimitée par deux filets demi-godronnés.
 
C) Le tambour de la cloche circulaire :
Le tambour est une pièce monolithe constituée de deux éléments indissociables : le cerveau de la cloche, la partie supérieure horizontale du tambour (diamètre maximum 6,7cm) ; et le vase, partie principale du tambour (diamètre maximum 9,1cm).
 
1- Le cerveau :
Le cerveau correspond au sommet du tambour et chapeaute le vase. Un trait profond le démarque. Son intérieur évidé en arrondi présente une mortaise de section carrée, laissant coulisser le prolongement du manche. Cette mortaise maintient en cohésion le manche et le tambour.
La robe du cerveau est ornée de motifs gravés d’une frise de huit fleurs de lotus à huit pétales. Ces lotus symbolisent les huit Bodhisattvas féminins, parmi lesquelles mantabhadra, pour certains associés à la vacuité ; Akasadhtisvari, « la Dame Souveraine de la Sphère de l’Espace Infini » ; Locana « Celle qui a une Vision Claire », ou « Celle qui a l’Œil » ; Mamaki « Faisant Mien », Pandaravsini « Celle qui est Vêtue de Blanc »… Ces Bouddhas « féminins », avec leur contrepartie « masculine », représentent différents aspects de l’expérience intégrale de l’Éveil, une expérience qui est, par essence, une expérience de la conjonction inséparable du deux-en-un de la Sagesse et de l’Amour. Krodhesvari, signifiant « Dame Courroucée du Vajra, la Dame Courroucée du Joyau, la Dame Courroucée du Lotus, et la Dame Courroucée de l’Action. Târâ, en tant que divinité féminine, représente la prajñâpâramitâ, la « perfection de connaissance », la faculté qui découvre la réalité ou l'irréalité de toute chose ; en ce sens, elle est la « Mère de tous les bouddhas », puisqu'elle fait accéder le disciple à l'Eveil.
 
2 – Le vase :
Le vase représente environ les trois quarts de la hauteur du tambour. Entièrement évidé, sa paroi interne comporte des caractères sanscrits gravés. Langue et écriture spirituelle de l’Inde et langue d’écriture des textes bouddhiques. Le sanscrit est le support d’une grande partie des textes qui sont passés au Tibet.
 
Une fine pince apparaît dans sa partie la plus large (9,1cm). La robe du vase est ornée de séries de motifs gravés de trois frises successives ; de haut en bas : 
- une frise comportant 16 vajra complets placés horizontalement accolés les uns aux autres par leurs sommets ; elle délimite le premier tiers supérieur du tambour ;
- une frise de 16 lotus reposant sur une bande non ornementée ; ces lotus représentent la moitié supérieure de cette bande ; l’extrémité inférieure de cette bande est ornée d’un filet godronné ;
- une large frise de 32 vajra placés verticalement et séparés les uns des autres par des espaces non ornementés. Elle est délimitée de part et d’autre par un filet filigrané. En-dessous figure une bande non ornementée, terminée par la pince.
 
3) Le battant :
Le battant, initiateur du son dit de « la vacuité dynamique », contient potentiellement la manifestation physique. Il est suspendu à l’extrémité du tenon percé et fixé à l’aide d’un anneau métallique ou d’une cordelette. 
 
 
IV - Le symbolisme des trois objets rituels principaux du lamaïsme tibétain
 
Le lamaïsme, religion officielle sous les Yuan (1279-1368), est la forme tibétaine du bouddhisme. Extrêmement ritualisé, il vise entre-autres à l’harmonisation des opposés. La cloche hindoue gantha (en sanskrit), ou drilbu (en tibétain), est le pendant féminin du vajra ou dorje (en tibétain), qui est le sceptre masculin. Dans les rites, la cloche est toujours portée dans la main gauche, la vajra dans la main droite. Le binôme cloche/vajra représente la connaissance et la compassion, les principes féminins et masculins, la transcendance des contraires, etc. 
La cloche gantha traditionnellement en deux parties, est réalisée en deux métaux pour des raisons à la fois symboliques et sonores. Associée à la répétition du mantra, la cloche donne une résonance assez courte, symbole du verbe créateur, mais aussi du caractère éphémère de toute chose. En tant que contre-partie du vajra masculin, la cloche gantha est quelquefois remplacée dans la symbolique par la fleur de lotus ou padma, qui représente le vagin ou yoni, traditionnellement associé au linga masculin et vénéré dans le tantrisme.
 
Le mala (en sanscrit), ou trengwa (en tibétain), est le troisième objet indispensable au rituel . Toujours tenu de la main gauche ou enroulé autour du poignet, ce chapelet est composé de 108 perles rondes en forme de grains. Il est employé avec la cloche gantha et le vajra. Le mala permet de compter les séries de récitation des mantras, répétées à des fins de purification pour préparer à la méditation. Ses grains sont fabriqués dans des matières très diverses et sont comme des chapelets, divisés par des repères (perles ou pendentifs) rattachés au mala par des torsades de fils rouges. Parfois, le mala se termine par trois graines plus grosses, symbole des Trois Joyaux, le Bouddha, le Dharma, la Sangha, pour mieux suivre le chemin qui mène à la suppression de toute souffrance, c’est-à-dire, l’Éveil. 
 
La symbolique du lotus ou lian-hua :
Très largement répandue dans toute l’Asie, la nymphéacée appelée lotus, et plus particulièrement le lotus blanc ou lotus sacré, bailian en chinois, y est éminemment symbolique. Sa blancheur immaculée, malgré les eaux troubles qui lui donnent naissance, en font naturellement l’emblème de la pureté, de la perfection. Le lotus appartient au Huit Précieux du bouddhisme : la roue de la loi, la conque, l’ombrelle, le canopée, le lotus, le vase, la paire de poissons et le nœud sans fin. A ce titre, il accompagne très souvent les représentations de divinités et particulièrement la déesse chinoise de la miséricorde Gwanyin - ou Avalokiteshvara en sanscrit. Il peut décorer le trône sur lequel elles sont assises, ou être tenu dans leur main ; l’Immortelle taoiste He Xangu le porte sur son épaule. 
 
Le nian hao :
L’inscription qian long nian zhi figurée sur le pourtour de la bague intermédiaire de la cloche, signifie « réalisé durant les années de règne de Qianlong ». Ce type d’inscription est un nian hao ou marque de règne. Originaire de l’époque de l’empereur Wendi sous les Han (206 av. J.-C ; 220 ap. J.-C.), le nian hao indiquait l’année de départ d’un règne impérial ou d’un événement marquant, et pouvait donc changer en cours de règne. Il est différent du nom patronymique de l’empereur, ce dernier ayant plusieurs noms selon qu’ils sont à usage politique, rituel, etc. Sous les Ming (1368-1644), et sous les Qing (1644-1911), l’usage du nian hao s’est étendu. Apposé sur la base, le col, le pourtour des œuvres d’art , il était réservé aux ateliers impériaux. Les porcelaines, les laques, les bronzes cloisonnés, les jades sont ainsi marqués de quatre ou six caractères disposés en deux colonnes, qui nous renseignent sur l’empereur régnant, et donc théoriquement sur la période de fabrication. Cette tradition a été dévoyée . Les empereurs Qing apposaient des noms de règnes précédents sur leurs propres pièces ; les marchands de toutes les époques, s’en servaient pour faire passer des pièces apocryphes pour des œuvres impériales. Le nian hao n’est donc pas absolument pas une garantie d’authenticité.
 
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Dans son ensemble, La cloche gantha de Qianlong est surprenante pour plusieurs raisons : d’une part pour sa matière minérale, alors que généralement, la cloche gantha est en alliage-métal, pour des qualités sonores évidentes. L’analyse du son menée avec Mr Tran Quang Hai du CNRS, UMR 8574 sur le sonagraphe 5500 a fournit une fondamentale en Fa 7+4 (ou Fa 6 français) et une résonance de 0,6047 seconde , ce qui est très court. Si le son est ténu et assez peu harmonieux, cela est dû aux différentes épaisseurs de l’instrument (dessin n°02) , qui sont inverses aux critères généralement employés en art campanaire pour les idiophones en métal (dessin n°01): l’épaisseur du cerveau, de 1 à 1,5cm, devrait être beaucoup plus faible ; celle de la pince, de 0,5 à 0,6cm, devrait être beaucoup plus importante. 
 
 
     Dessin E.G. Dessin E.G.
 
Dessin 01 : Cloche européenne en métal Dessin n°02 : Cloche sino-tibétaine gantha
de Qianlong 
L’épaisseur de la pince va en s’amenuisant L’épaisseur de la pince va en grandissant vers le vers le cerveau le cerveau
 
Deux cas de figures apparaissent pour la cloche gantha (Dessin n°02 ): 
- les tailleurs ne connaissaient pas les règles de base de l’art campanaire et pour ce type de cloche en jade se sont arrêtés à des contingences techniques liées à la lithogravure. Dans le jade-néphrite céladon, il est nécessaire d’insister sur la profondeur des reliefs pour créer des ombres et mieux marquer les motifs. Sachant que le jade absorbe beaucoup la lumière, il fallait disposer de plus de matière principalement dans le cerveau de la cloche. 
- pour obtenir une bonne translucidité sur le vase, étant donné la forte ténacité du minéral, les lapidaires ont opéré un affinement excessif des parois, au détriment du son. 
 
 
Conclusion
 
Les objets d’art tibétains et cette forme de cloche en particulier, montrent de nombreuses influences étrangères. Les auteurs de cette cloche ont mis la technique lapidaire chinoise au service d’une forme campanaire tibétaine, elle-même inspirée d’une forme occidentale, sans pour autant appliquer les lois physiques qui amplifient les propriétés sonores (timbre et résonance). 
Pour ces raisons, il y a lieu de croire que cette cloche était destinée à être soit un don à un temple, soit à de simples fonctions décoratives, corroborées par l’amour immodéré de Qianlong pour le jade. 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
 
 
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2003 - Victor und Victoria Trimondi, « The shadow of the Dalai-Lama, Sexuality, Magic and Politics in Tibetan Buddhism ». Traduit par Mark Penny. 
 
2001. Robyn Fréchet et Hubert Bari in : « Diamants, au cœur de la terre, au coeur des étoiles, au cœur du pouvoir », p. 296. Editions Nouvelles Adam Biro) 
 
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1954 – S. Howard Hansford, « glossary of Chinese art and archeology ». The China Society.
 
2001 - Philippe Cornu, « Dictionnaire encyclopédique du Bouddhisme ». Edition du Seuil. Paris.
 
Philippe Cornu, « Tibet, culture et histoire d’un peuple ». Trédaniel, collection « Le retour à l'esprit » n° 16, Paris, 1998.
 
1996 - Eulalie Steens - « Dictionnaire de la civilisation chinoise du néolithique au début de la dynastie Qing (XVIII°s.) ». Editions du Rocher. 
 
1936. Charles Absolon « Les flûtes paléolithiques de l’Aurignacien et du Magdalénien de Moravie, analyse musicale et ethnologique comparative avec démonstration. Congrès Préhistorique de France. Compte-rendu de la II° session, Toulouse-Foix).
 
1934 - Seewald Otto « Beiträge zur Kenntnis der Steinzeitlichen Musik-Instrumente Europas. Bücher zur Ur. und Frühgeschichte », t. 2. Verlag von Anton Schroll, Wien. 
 
1891 - Li Chengyuan « Illustration du travail du jade ». 
 
Site internet 1 de la Cité de la Musique/la voix du dragon)
Site internet 2 : www.lalitavistara